BIBLIOPHILES

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Si l’on s’en tenait à l’étymologie (du grec biblion , livre, et philos , ami), on serait tenté de considérer comme bibliophile et pratiquant la bibliophilie toute personne aimant les livres au vrai sens du terme — c’est-à-dire d’abord pour leur contenu — et sachant les entourer du respect qu’ils méritent. Ainsi l’entendait déjà le dominicain Richard de Bury, chancelier d’Angleterre (1281-1333); composant en latin, mais sous un titre grec, son Philobiblon , il prône l’amour des livres et fustige à la fois les lecteurs trop soigneux et les amateurs jaloux de faire enluminer les manuscrits au point de les transformer en monceaux d’or, mais incapables de prêter attention au texte. Ainsi l’entendaient encore les érudits du XVIIe siècle, se qualifiant entre eux de bibliophiloi . Mais les choses ne sont pas si simples. Dès le milieu du XVe siècle, l’invention de l’imprimerie, en multipliant les livres, donne naissance à un travers redoutable, et Sébastien Brandt ne tarde pas à faire monter dans sa Nef des fous (Das Narrenschiff , Bâle, 1494) les malheureux qui accumulent toutes sortes d’ouvrages sans discernement. Bibliomane aussi, plutôt que bibliophile, l’amateur représenté dans les Caractères de La Bruyère (chap. IX, «De la mode»), amassant les livres dans l’odeur suffocante de sa «tannerie» et ne lisant jamais. Mais le mot ne se trouve pas encore sous la plume du moraliste: bibliomanie est enregistré pour la première fois en 1721 dans le Dictionnaire de Trévoux, bibliomane en 1751 dans l’Encyclopédie , bibliophile en 1740 dans le Dictionnaire de l’Académie, bibliophilie n’apparaissant qu’au XIXe siècle. Il est significatif que cette discrimination dans les termes se précise en un temps où l’amour du beau livre et le goût de la collection sont si répandus. Significatif aussi que l’on désigne aujourd’hui indistinctement sous le nom de bibliophile, qu’il lise ou non les livres qu’il possède, l’amateur qui les recherche pour la beauté ou la singularité du texte, pour les mérites de l’édition (papier, typographie, illustrations), à moins que ce ne soit pour sa rareté (éditions originales, contrefaçons, etc.), ou enfin pour les particularités de tel exemplaire (exemplaire de provenance célèbre ou enrichi de notes autographes, exemplaire non coupé, dans une reliure d’art, etc.). Avant d’acquérir un exemplaire, le bibliophile le collationne ou le fait collationner par son libraire, vérifie si les planches qui doivent s’y trouver sont bien au complet et — pour les ouvrages édités à partir du XIXe siècle — constate que le volume a conservé sa couverture d’origine (ces couvertures sont particulièrement précieuses sur les ouvrages romantiques souvent publiés en livraisons). S’agissant de reliures anciennes, il doit prendre garde aux restaurations et réemboîtages.

L’acquisition faite, le bibliophile appose sur le volume sa marque de possession ou ex-libris . À l’inscription manuscrite qu’écrivait au Moyen Âge le bibliothécaire d’un couvent, à celle que Grolier et ses émules du XVIe siècle faisaient frapper en lettres d’or sur la reliure s’est substitué l’ex-libris gravé, collé à l’intérieur du volume, sur le contre-plat: étiquette de papier portant, dès le XVIIe siècle, les armes du possesseur, ou bien, à partir du XIXe siècle, une gravure allégorique, allusion à ses goûts, voire un label de cuir à son nom ou à son chiffre. Marque de possession permettant de suivre, de vente à vente, le pedigree d’un volume et la montée des prix d’adjudication, à moins qu’il n’aboutisse dans quelque bibliothèque publique, comme ce fut et comme c’est encore si souvent le cas aux États-Unis (Folger Library, Washington; Pierpont Morgan Library, New York; Huntington Library, San Francisco; Beinerke Library, Yale University) et comme le cas s’est produit à Genève, avec la Bodmeriana.

Il y a plusieurs espèces de bibliophiles, écrivait au XIXe siècle Paul Lacroix: «les exclusifs, les fantasques, les vaniteux, les thésauriseurs». Peut-être ces différentes espèces se ramènent-elles aujourd’hui à une seule. Il est réconfortant de voir à quel idéal obéissent certains des grands amateurs offrant leurs collections à une ville ou à une université. Ils rejoignent la tradition des purs bibliophiles, celle des religieux du Moyen Age pour qui tout livre était sacré, celle de ces lettrés chinois dont beaucoup auraient pu souscrire à l’avertissement que, selon M.-R. Guignard (Aspects de la Chine , II, Paris, 1959), le grand bibliophile Tu Xian portait à l’époque Tang sur tous ses volumes: «Vendre ou prêter les livres paternels est contraire à la piété filiale.»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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